Ecrire pour digérer les coups, pour décider de se relever (1300 mots)

Petits mots écrits pour réfléchir, reformuler ce que je vis ces temps-ci.

Ma décision
Pour l’instant, j’opte pour ne pas reprendre un CDD même si j’étais finalement accepté. Il y a eu trop de bêtise systémique et beaucoup trop de méchanceté humaine.  Je dois fuir. La cinquième fois que l’on vous écrase, rester n’est plus du courage, c’est du masochisme. Il faut battre en retraite pour revenir plus fort. Passer le concours, oui, bien sûr. Pour que le statut protège de l’arbitraire. De la folie.

Passer le concours et rester prof
Prof plutôt que médiateur, plutôt qu’animateur, plutôt qu’éducateur de quartier : rester prof pour les élèves. Car eux, ils ne peuvent pas fuir. Des millions d’enfants, piégés comme je l’ai été à leur âge. Certains m’ont dit que cette identification était malsaine, mais il ne m’ont pas encore convaincu. À les en croire, toute motivation serait malsaine. Je campe sur mon sentiment : quoi que je fasse, les élèves seront dans ces salles, ils encaisseront les heures. Ils manqueront de ce que j’ai manqué à leur âge : un enseignement de qualité. Alors, à quoi bon faire dans tel ou tel musée d’excellents ateliers aux visiteurs, quand la plupart d’entre eux ont littéralement souffert des milliers d’heures d’ennuis ? Je mettrais de l’eau sur une brûlure, soulagerai sans guérir.
Est-ce de l’arrogance de croire que je peux faire une différence ? Enseigner n’est pas mon rêve, j’ai d’autres rêves, à l’abri en moi, braises qui ne s’avivent que de mon souffle. Être face au public est un métier pour moi.  Dans les sociétés humaines, chacun doit fournir un travail utile, et je crois juste que moi, Fabien, je peux faire utilement ce travail-là. Ce doit être possible : je vois des collègues le faire, j’entends des amis parler de leur bonne expérience dans leur scolarité. Donc c’est possible, cela existe. Il n’y en a juste pas assez. Alors je ne changerai pas le système, mais peut-être pourrais-je laisser passer davantage de soleil dans ce royaume de ténèbres. Je ne suis qu’un Homme, je n’ai pas à agir sur l’éternité : influer la vie de quelques compagnons humains n’est-elle pas une chose que j’ai le droit d’espérer ? Pour laquelle j’ai le droit de me battre ? En attendant que la politique renfloue un jour peut-être le bateau , organiser les canaux de sauvetage, tendre la main aux gens qui se noient.

Pourquoi ne pas juste passer le concours ? Après avoir peiné seul en physique-chimie pendant trois ans, je ne me sens pas de passer seul le concours. Pour ensuite quoi ? Pour ensuite me retrouver à nouveau seul face à mes cours de physique-chimie ? Assez de débrouille ! Je veux du socle, je veux savoir ce que l’on attend de moi !
Assez des collègues qui envoient des PDF de leurs documents élèves et qui disent vous avoir aidé. Je veux de vraies explications. Assez des collègues généreux qui prennent sur leur temps libre pour palier à ce que des collègues payés pour me former n’ont pas fait. J’ai le droit à des explications, je n’ai pas les obtenir comme faveurs au fil des années. Assez de l’inspectrice qui me met le nez dans un document cryptique de 600 pages et annonce que je n’ai pas d’excuse. Assez de la principale qui affirme que tout prof commence avec un code de photocopieuse et une salle, et que si cela ne me suffit pas c’est que je ne suis pas fait pour le métier. Assez.
Un Master donc, l’idée est séduisante. Mais quel défi financier et humain…


Malveillance S’il y a une chose à retenir de mon entretien avec la cheffe dont-il-ne-faut-pas-prononcer-le-nom, c’est la mauvaise foi. Je dois garder en tête ce qu’est la mauvaise foi aveugle, pour réussir à me convaincre que c’est possible, qu’une personne en face de moi peut réellement dire des choses aussi ridicules. Elle avait déjà pris sa décision, cela ne faisait aucun doute, je n’ai pas cherché à la convaincre. Mais je n’avais jamais eu affaire en personne à cette sorte de mal, rongeant aussi profondément le comportement d’une concitoyenne. Dès le début de l’année

Mais j’en avais entendu parler. Je l’avais lu et vu en fiction. Ne serait-ce que O’Brien et Thomas dans Downtonn Abbey. Simplement, je dois m’attendre à l’affronter toujours plus. “Les gens réagissent à leur vie”, dit mon père. Rencontre avec ma vie. Première année, négligence grave de l’enseignant qui aurait dû m’enseigner. Deuxième année, forcé à être prof principal, le chef rend mon dossier en retard, impliquant par retard administratif de me coltiner trois établissements et temps plein l’année suivante. Alors que j’avais demandé temps partiel. Troisième année… Pas d’aide, des cris, des attaques en traitre. Celle-dont-il-ne-faut-pas-prononcer-le-nom. Incompréhension humaine. Et l’administration qui, trois mois après, me fait toujours poireauter pour le verdict officiel. Pour garder le prof le plus longtemps possible, avant de s’en débarasser.

De toute autre part, c’est chacun sauve sa peau. Parce que le système les écorchera tous. #pasdevagues est le hashtag de l’éducation nationale.
Passer le concours, oui, bien sûr. Pour que le statut protège de l’arbitraire. De la folie.

Pourquoi enseigner en collège ? Je comprends les collègues qui veulent enseigner à des plus grands.
Il y a ceux souhaitent aborder des sujets moins triviaux.  Je suppose que pour l’instant, je découvre tant et tant de choses sur ces sujets triviaux, que cela me suffit.
D’autres ne souhaitent pas se coltiner l’adolescence et ses dérèglements. Je suppose que c’est précisément cette période de développement que je souhaite accompagner. Que je souhaite y planter des graines. La primaire fournit le terreau, le collège les graines, le lycée fait pousser, le post-bac fait fleurir, la vie pro fait porter des fruits. Je ne pense pas être très pertinent pour accompagner le travail intensif à partir de la pousse, d’autres font cela mieux que je ne le ferai jamais. Mais raffermir le terreau et semer dans les yeux de ces adolescents des étoiles à venir, cela, cela je m’en sens sincèrement capable.

Me mettre en arrêt. Décision difficile. Décision personnelle, me dit-on. Que d’hésitation ! “Battre en retraite, oui, mais avec le sentiment d’abandonner, sentiment d’échec, de fuite. De devenir le fameux “fonctionnaire planqué”, “prof démissionnaire” ; le mythique assisté.
Cela a aussi à voir avec l’image du mec fragile. Pas assez fort pour tenir la charge, “la tapette” qui ne gère pas ses sentiments et les laisse interférer avec son travail.
Dois-je mourir pour ma fierté ? Quand doit-on mourir au front, et quand doit-on battre en retraite ? Ai-je tout donné, me suis-je investi corps et âme ? Oui. Ai-je passé mes soirées et mes week-ends pour pallier à mes imperfections et à celles du système ? Oui. Je ne fuis pas : je me repli. Je vais me reconstruire. Et je reviendrais plus fort. Aurais-je pu tenir un mois de plus ? Bien entendu. J’aurais pu tenir un an de plus, j’aurais pu tenir un an de plus. Même si on me fouettait, j’aurais tenu. Même si les mollards baveux de la salive de la direction s’écrasaient sur moi dans les couloirs. Braquez un fusil à pompe sur moi et ma famille, je tiendrai encore plus longtemps. À quel prix, par contre, cela est incommensurable. La destruction psychologique. Mon couple a souffert de tout ce que j’ai donné, mon esprit s’est tourmenté, ma compagne a payé avec moi. Aujourd’hui la machine juge que ce n’était rien, que mes efforts étaient risibles. Dois-je alors retourner et tenir ? On me souffle que “faire le travail pour lequel on est payé, c’est une question d’éthique” ou “tu prétends aimer cela, mais tu veux t’arrêter ?”

Je n’ai pas de conclusion intellectuelle. Je sais juste que mes tripes ne tiennent plus. Je m’arrête.

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